Le WE dernier, je vous disais, à la lecture de l’avant-dernière livraison de l’ OBS, qu’il y a 20 ans déjà, je manifestais aux côtés de mes (alors) jeunes collègues du secteur en compagnie d’édiles locaux et de sommités scientifiques (un peu fleuries aussi ), derrière le mot d’ordre » Légalisez le Cannabis « , et oubliais de déclarer, on me l’a fait judicieusement remarquer, que ce point était toujours à l’ordre du jour des agendas politiques en France, en Belgique, et, à quelques exceptions près, de l’immense majorité des états de ce Globe.
Est-ce à dire que rien n’a changé dans le statut des drogues en général, des illégales, plus particulièrement, et, de façon plus pointue encore, des dispositifs susceptibles d’améliorer les conditions de vie des consommateurs supposés comme de plus en plus nombreux en ce monde de plus en plus follement sous influence ?
Eh bien, oui et non, sera ma réponse de normand mais plutôt oui, en ce qui concerne la posture prohibitionniste et la frilosité quant au développement du pilier de la Réduction des Risques ?
A cette question, il me faut déclarer ce que je pense depuis fort longtemps à savoir que les moyens orientent les fins et qu’en ce qui concerne les drogues, ceux qui sont « chargés » par les classes politiques locales et supralocales d’instruire les décisions sont exclusivement choisis pour leur capacité à caresser les contradictions dans le sens du compromis et leur adhésion au principe d’homéostasie « politique » à même de garantir leur maintien aux postes de recherche et d’action ( les dernières nominations de représentants à la Cellule Drogue en témoignent à loisir ) .
Pendant que le terrain socio-sanitaire se frotte, au quotidien, aux réalités des citoyens qui subissent, entre autres pathologies diverses, jusque dans leur chair, leur psychisme, leur vie relationnelle, leur statut social, les dommages liés à la prohibition des drogues ( en ce compris les effets de celle-ci sur les dispositifs de prévention, d’aide et de traitements), les décisions « politiques » se prennent et, surtout, ne se prennent pas :
- au mépris de toutes les évidence issues des expériences réalisées à l’étranger,
- en commandant, par « abus de précaution », des études longues et coûteuses à des académies dépendantes, études qui, au final, seront interprétées en fonction de présupposés « idéologiques » préétablis par le commanditaire,
- en fonction d’agendas hautement sensibles aux enjeux électoraux et consensus supra – nationaux
- soutenues par des experts désignés en fonction de leur couleur ( politique ) ou de leur odeur ( de sainteté mentale )
- qui surfent sur les peurs et les préjugés des citoyens insécurisés par les discours de guerre aux drogues réputées radicalement et exclusivement dangereuses,
- au prétexte d’idéaux ( vivre sans drogue ) en contradiction d’avec les des propriétés addictogènes des sociétés modernes.
Vous voulez un exemple peut-être : en décembre 1996, le Groupe DELCOH-GB ( délivrance contrôlée d’héroïne – groupe bruxellois ) invite le Prof. UCHTENHAGEN de Bern à Bruxelles pour présenter l’expérimentation de délivrance contrôlée d’héroïne menée en Suisse sous sa direction hautement universitaire et les premiers ( bons ) résultats (insertion sociale, santé et diminution de la délinquance associée secondaire ) devant un panel de décideurs et de professeurs belges de nos grandes universités catholiques et laïques ( lire archive du Soir sur cet event ).
En 2007, 10 ans plus tard et alors que les dispositifs de traitements par diacétylmorphine se multiplient en occident , une expérimentation menée par la Ville de Liège sous la tutelle scientifique de l’ULg est très lentement mise sur pied, à grand coût fédéral, et se déroulera deux ans durant moyennant un montage financier ( la Fondation TADAM qui dispense un opérateur officiel de s’engager ) et organisationnel d’une lourdeur impressionnante. Le projet reconnu comme pertinent et sécure (Conclusions scientifiques et recommandations) est pourtant interrompu, en janvier 2013, les patients renvoyés à leur héroïne de rue. L’état fédéral n’a toujours pas examiné les projets de loi déposés dans la foulée par le « mayeur de Liège » et dont le vote pourrait autoriser l’implémentation de ce type de dispositif hors le cadre de recherche.
Alors qu’en Suisse, mult referundum populaires plus tard, le dispositif perdure depuis 20 ans, avec près de 20 centres de délivrance sur toute la confédération, en Belgique, la ministre FONCK se dit scandalisée par la proposition DEMEYER ( à voir ci dessous )
Propositions de loi visant à encadrer l’usage de drogues dures à Liège Suite à l’expérience pilote « TADAM », j’ai déposé au Sénat, deux propositions de loi visant à encadrer l’usage de drogues dures. La première concerne la légalisation des salles d’injection et la seconde, le traitement de substitution par la diacétylmorphine.
Pour en savoir plus, je vous invite à consulter les différents liens ci-dessous.
Cette résistance au sein même de la majorité wallonne montre comment l’évidence basée sur l’expérience est encore incapable aujourd’hui de modifier les pratiques médicales lorsqu’elles concernent les usagers de drogues ( cf. le Baclofène et l’e-cigarette ).
Il est tentant de faire porter la responsabilité de cette inertie sur la complexité institutionnelle belge laquelle impose un compromis politique excluant tout progrès un tant soit peu » idéologiquement » chargé. Le nombre important de Rendez-Vous électoraux à tous niveaux favorise sans conteste la frilosité des options politiques alors même que la classe « académique » semble aujourd’hui unanime … lorsqu’on l’interroge ou lorsqu’elle peut en tirer quelque source de financement pour une antépénultième recherche avant l’action.
Alors, pour ce qui concerne les changements législatifs portant sur l’usage » récréatif » et » personnel » du cannabis, la valse hésitation a encore bien plus de mille temps devant elle !!!
A cet égard, tout est permis, comme le démontre « potopot » rendu public hier, dans le Monde, concernant le sort d’un rapport commandé par E. Valls et mis sous son propre coude pour raison de » conclusions politiquement incorrectes » ( voir l’article ).
Pourquoi rien ne bouge sinon parce que ce type de changement réclame une stabilité politique et un climat social plus « sécure » !
En temps de grandes turbulences, les cécités politiques sont confortées, les symptômes (les consommations drogues) se confondent d’avec les causes (les économies parallèles dans les sociétés de performance), l’histoire en a fait un de ses principes directeurs, les postures se raidissent, se radicalisent, les tolérances s’annulent, les peines de mort ressortent du bois et la force écrase l’intelligence hors service et synonyme de faiblesse quand la guerre fait rage.
La drogue à nouveau rime avec violence ( les djiadistes de l’EI sous amphétamines, l’employé communal trafiquant de la drogue à Ribaucourt, les proviseurs français s’inquiètant après l’état des lieux des collèges et lycées , etc …).
Dans le désordre, les discours se font simplistes et les équations à plusieurs inconnues, les calculs matriciels, les géométries variables et les causalités circulaires n’ont plus droit de cité, quand bien même l’équation » LEGALISATION = REGLEMENTATION = DIMINUTION DE LA VIOLENCE ASSOCIEE » semble faire « loi » comme en témoigne un rapport rendu public sur le site de l’IDPC ( International Drug Policy Consortium ) en mai dernier, montrant que les achats sur les cryptomarchés étaient associés à moins de violence et de dommages et que leur répression devait être envisagée avec prudence au regard de la sécurité publique et sanitaire.